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- Brouillon -
22 septembre 2006

Sisters Of Mercy, brouillon (II)

Je relis La naissance de la tragédie (Nietzsche) et j'avais déjà eu l'impression que la musique des Sisters se rapprochait beaucoup de la philosophie de Schopenhauer (inspirateur de Nietzsche - entre autres) : une musique qui dégage un sentiment d'absurdité, parce que répétitif (les basses, la boîte à rythmes, fonctionnent toujours sur le même schème au long de la chanson). Pourtant, lorsque j'écoute Sisters, je ne me trouve pas plongé dans un état de désespoir - la musique me fait ressentir quelque chose que je n'arrive pas encore à qualifier (mais qui ne se classe ni dans l'espoir ni dans le désespoir).

Cet état ressemble à celui dans lequel j'étais lorsque j'ai eu fini de lire une anthologie de Schopenhauer, parce que sa philosophie (qui est une esthétique) se termine sur une note presque contradictoire, un oxymore : il est inutile et vain de vivre la vie parce que celle-ci n'est que répétition d'une souffrance infinie et indépassable ; pourtant, Schopenhauer nie que le suicide soit un acte échappatoire à cette existence (il affirme le contraire d'ailleurs) et dit voir dans la science une chose pouvant soulager la souffrance - même si c'est impossible.
Sa philosophie se termine sur cette note étrange, comme un point d'interrogation, un problème non résolu.

Bref (vous m'excuserez, je cause aussi pour moi).

Dans La naissance de la tragédie, Nietzsche fait appel à deux forces esthétiques : le dionysiaque et l'apollinien. L'apollinien, c'est le principe d'individuation (ce qui fait qu'un individu est particulier, bien qu'appartenant à un type : le type humain - je pense qu'il faut comprendre l'apollinien comme une singularité qui coupe, isole de l'autre). Le dionysiaque, c'est la force qui casse l'individuation et réunit les "individus" dans un fond commun (l'ivresse de Dionysos - l'Être). La composante de ces deux forces antagonistes trouve son expression parfaite dans la tragédie Grecque (selon Nietzsche).

En gros, c'est ça, je reviendrai sur le dionysiaque après.

Je pense que tout le monde sera d'accord pour dire, qu'au moins dans la période FALAA (avec toutes les démos proche de l'album : Body And Soul, Alice, Temple Of Love, Heartland, On The Wire, etc.), la voix d'Andrew se brise contre quelque chose. Elle est en lutte contre quelque chose (on le sent très bien sur la fin de Some Kind Of Stranger) : ses fameux trémolos, mais qui ne se terminent jamais en pleurs.
Ce contre quoi elle lutte, ce sont les basses, les guitares et la boîte à rythme (bien que l'ensemble, avec la voix, traduise quelque chose, pour moi, d'inséparable et d'insécable - on dirait que tout ça n'a jamais été qu'un, quand la voix se rajoute sur les mélodies, c'est absolument sans accro, c'est enchâssé). Avec leurs mélodies hypnotiques, répétitives, c'est le dionysiaque qui est exprimé. L'apollinien, c'est la voix d'Andrew (superbe) et les textes.

J'explique (ou plutôt Nietzsche explique) :
- Le dionysiaque : c'est le fond de l'Être, la réalité la plus forte qui est absurdité et répétition, qui ne fait que s'engendrer et se détruire elle-même par une Volonté infinie. C'est ce qui fait que l'on éprouve, à un moment ou un autre, la vacuité de tous les Idéaux, de la Vérité et que l'on prend l'absurdité et la vanité de l'existence en pleine face. Derrière ces grands termes, c'est une expérience banale et simple : "à quoi bon ?", "ça sert à rien"... C'est aussi ce qui créé, indéfiniment, les phénomènes (les choses, les individus) : le feu héraclitéen, la prodigalité aveugle et répétitive de la nature, la démesure dans l'ivresse.
- L'apollinien : c'est ce qui s'efforce de mesurer l'individu, pour ne pas qu'il perde sa singularité et qu'il puisse vivre protégé de la terrible vérité dionysiaque (un monde sans sens). Il incarne la maîtrise, l'action aux côtés des phénomènes et en tant que phénomène : quelque chose comme la confiance dans les capacités que l'on possède (science, raison, sentiments) - le "regard solaire" dit Nietzsche - et de l'ordre du Beau. Pour ce que ça vaut, l'apollinien me fait penser à la statue grecque parfaitement proportionnée, un corps finement musclé, etc.

Dionysiaque et Apollinien étant, bien évidemment, comme le yin et le yang : inséparables, chacun se reconnaissant dans l'autre. Leur réunion, exprimée, provoquant le sentiment tragique.

La voix, et les textes d'Andrew, incarnent l'apollinien confronté aux guitares, basses et au doktor dionysiaques. Ainsi, au fur et à mesure que la chanson avance, les éléments hypnotiques et répétitifs ne faiblissent pas, ils sont constants, tandis que la voix d'Andrew se fissure, se brise, est marquée par cette absurdité qui vient détruire son histoire, ses idéaux, lui faire ressentir pleinement sa vanité. Toute la tension provient du fait que la voix d'Andrew reste puissante, elle ne laisse jamais l'instrumental vaincre mais est toujours en lutte, crispée dans son effort de ne pas abandonner. En clair : elle se teinte de dionysiaque (sa voix grave y est prédisposée sans doute) tandis que le dionysiaque finit par se teinter d'apollinien (peut-être les petits filets de guitare entremêlés aux basses et à la boîte à rythme).

First And Last And Always : cette lutte n'a pas de fin. Elle est en équilibre (On the wire, I will not fall). Ainsi, la musique des Sisters serait tragique, en ce qu'elle exprime la jouissance prise à la destruction des phénomènes et la nécessité de la reformation de ces phénomènes comme esthétique permettant de prendre joie de leur continuité. Andrew est le héros tragique aux prises avec la fatalité qui le brise.

Bon, je m'arrêtes là, parce que je suis fatigué. Il y aurait encore des trucs à citer dans les textes et plein de choses à dire. Et puis, je dis peut-être n'importe quoi, je n'ai pas lu grand'chose sur les Sisters.

Tear apart what you believe,
Make a mess of your conviction,
Take away my pride and leave,
Nothing, but the debris



AndrewEldritch

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Commentaires
E
Finalement, dans Le mythe de Sisyphe de Camus, il y a quelque chose en rapport avec les Sisters...<br /> <br /> "Ainsi de l'oeuvre. Si les commandements de l'absurde n'y sont pas respectés, si elle n'illustre pas le divorce et la révolte, si elle sacrifie aux illusions et suscite l'espoir, elle n'est plus gratuite. Je ne puis plus me détacher d'elle. Ma vie peut y trouver un sens : cela est dérisoire. Elle n'est plus cet exercice de détachement et de passion qui consomme la splendeur et l'inutilité d'une vie d'homme."
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