Montaigne et le jugement
"Qui se
souvient de s'estre tant et tant de fois mesconté de son propre
jugement [trompé selon son propre jugement ; NDLT], est-il pas un sot
de n'en entrer pour jamais en deffiance ? Quand je me trouve convaincu
par la raison d'autruy d'une opinion fauce, je n'apprens pas tant ce
qu'il m'a dict de nouveau et cette ignorance particulière (ce seroit
peu d'acquest [de profit ; NDLT]), comme en général j'apprens ma
débilité et la trahison de mon entendement ; d'où je tire la
reformation de toute la masse. En toutes mes autres erreurs je faits de
mesme, et sens de cette reigle grande utilité à [pour ; NDLT] la vie.
Je ne regarde pas l'espèce et l'individu comme une pierre où j'aye
bronché ; j'apprens à craindre mon alleure par tout, et m'attens
[m'applique ; NDLT] à la reigler. D'apprendre qu'on a dict ou faict
une sottise, ce n'est rien que cela ; il faut apprendre qu'on n'est
qu'un sot, instruction bien plus ample et importante."
Montaigne, Les Essais.